Les animaux de la banquise ont fait l’objet de nombreuses représentations artistiques depuis que les humains les ont découvert. Néanmoins, leur représentation a différé en fonction de l’état des connaissances scientifiques et des enjeux environnementaux.
Ces espèces polaires sont nombreuses et variées, allant du manchot au morse, du phoque à la baleine, de l’ours polaire au blanchon ou encore du narval à la mouette blanche. Les inuits ont été les premiers à les saisir sous formes de sculptures. Par la suite, à l’occasion de l’exploration de l’Amérique du Nord, les occidentaux se sont à leur tour emparés de ces figures. Les gravures oscillaient alors entre représentations scientifiques des premiers naturalistes et représentations fantasmées. Ces dernières résultaient des récits de voyages, rapportant des descriptions d’animaux inconnus aux caractéristiques étonnantes.
L’exotisme de ces animaux polaires a entretenu un attrait particulier des artistes à leurs égards. Ainsi, durant le XXe siècle de nombreux sculpteurs ont repris cette thématique, comme François POMPON avec son Ours Blanc (1922). De même, l’art inuit s’est développé durant le XXe siècle en se centrant notamment autour de la figure sculptée de l’ours ou du morse.
Toutefois, l’émergence des problématiques environnementales contemporaines a profondément impacté la façon dont ces animaux étaient perçus et représentés. Les menaces pesant sur la banquise, dues au réchauffement climatique et à la pollution des océans, sont aujourd’hui au centre des travaux artistiques.
Les photographes se sont emparés de ces problématiques, ne saisissant plus seulement ces animaux en naturalistes ou biologistes mais en artistes et militants. En capturant la fragilité des animaux de la banquise, ils alertent sur leur sort face à la dégradation de leur environnement. La photographie apparaît dès lors comme le fer de lance des enjeux écologiques pour la sensibilisation du grand public.
Les fantasmes entourant la découverte du narval symbolisent au mieux cet état de fait. En effet, le narval a été découvert par les Occidentaux lors de l’exploration de l’Amérique du Nord. Cet animal devint alors particulièrement populaire en raison de sa corne, rappelant celle de la licorne mythique. La longueur de cette dernière était sans équivalent parmi les espèces connues. Ces cornes étaient dès lors présentées dans les cabinets de curiosités comme preuves de l’existence d’animaux légendaires.
Aujourd’hui, la figure du narval a été démystifié. Ces animaux sont connus, observés, approchés et photographiés. Ils vivent en groupe, dans les eaux arctiques et migrent en fonction des saisons afin d’échapper à la formation des glaciers. Leurs défenses torsadées, jadis fruits de légendes, sont aujourd’hui des objets photogéniques et photographiés. Elles sont capturées, dépassant de l’océan, tels des piques acérés.
La banquise a également longtemps fait l’objet de fantasmes en raison de l’inconnu l’entourant. Suite aux explorations polaires, ces fantasmes se sont adoucis, bien qu’aujourd’hui cette immensité de glace fasse toujours rêver.
La banquise est une couche de glace qui s’est formée au-dessus des océans bordant les régions polaires. En raison de leurs immensités et des couleurs boréales bordant le ciel polaire, ces espaces ont toujours été vus comme féériques en dépit de leur dangerosité.
Les photographies de Stephen WILKES rendent compte fidèlement de la banquise, tout en rappelant les mythes l’entourant. Dans ces deux photographies il sublime le paysage en rassemblant dans une image tous les instants de la journée. Cela lui permet de concentrer à la fois l’essence et la complexité du sujet.
Ce processus lui permet également de rapporter l’impact dévastateur du réchauffement climatique sur la banquise. Ses photographies apparaissent dès lors comme des témoignages criants de l’urgence écologique.
Polar bears : Dans cette photographie, la banquise est ensoleillée et le ciel est empreint de nuances de violet. Deux ours polaires avancent sur le glacier désertique, immense et plat. Le point de fuite est la lune écarlate, au centre de l’image, qui concentre à première vue l’attention du spectateur. Les ours polaires semblent secondaires, fondus dans le blanc de la neige. L’élément principal est bien ici la banquise. Tous les éléments qui y sont traditionnellement associés sont présents. Le contraste entre les couleurs chaudes du ciel et le blanc glacial de la banquise procure un sentiment d’équilibre apaisant.
The great july melt : Stephen WILKES saisit ici les effets du réchauffement climatique sur la banquise.
La journée se déroule de gauche à droite, du matin au soir. Le point de fuite de la photographie est le soleil à l’horizon, au coin. Stephen WILKES capture ici des morceaux de banquises désolidarisés. La surface recouverte d’eau, bien supérieure à celle de la banquise, inquiète. La luminosité de la photographie, due au soleil éclatant, interroge. Cette image frappe alors le spectateur et le sensibilise aux enjeux écologiques.
Les photographies de Paul NICKLEN s’insèrent dans un registre plus intimiste, en capturant un iceberg, une cascade ou un lagon. A travers ces morceaux de banquises, il parvient à retranscrire la puissance, et la force de l’espace polaire. Les nuances noires qui contrastent avec les bleus et blancs vifs saisissent le spectateur. Ce dernier peut alors être envouté par l’image, voir se projeter à l’intérieur.
Les manchots sont des oiseaux de mers, vivant dans l’hémisphère sud et ne pouvant pas voler. Il y en a plusieurs espèces, comme le manchot empereur, le manchot royal ou encore le manchot papou. Leur découverte a donné lieu à de nombreuses gravures scientifiques, représentants ces oiseaux n’ayant pas d’équivalents dans le reste du globe.
Les manchots vivent et se mouvent en groupe. Cette caractéristique rend leurs déplacements impressionnants et photogéniques. Dès lors, que ce soit à travers le regard scientifique de Paul NICKLEN ou le regard intimiste de Kyriakos KAZIRAS, la beauté de ces espèces ne peut être que retranscrite.
Les animaux de la banquise ne se limitent pas aux espèces vivant sur la glace. De la baleine à l’orque, en passant par le cachalot, ces espèces sont bien des animaux polaires. En raison de leurs tailles déconcertantes, leurs mouvements sont spectaculaires. Lorsque les photographes parviennent alors à capturer une nageoire brisant la surface de l’eau ou un ballet aquatique, l’instant est précieux.
Le loup arctique est une autre espèce polaire. Une fois photographié, son pelage blanc et soyeux invite le spectateur à rêver de douceur et de réconfort.
Dans ces espaces, se trouvent également des huskys, les fameux chiens de traineaux. Bien que n’étant pas des loups arctiques, ces derniers vivent dans les mêmes conditions climatiques.
Le loup de Colombie-Britannique, dans l’Ouest du Canada, est une espèce similaire au loup d’Alaska. Sans être un animal de la banquise, le loup du Nord est un animal vivant dans des températures très basses. Il a été saisi par Paul NICKLEN dans des photographies rendant compte de son état sauvage, tout en soulignant la douceur de son regard.
L’ours a toujours été dans la culture populaire, une espèce sur-représentée. En Occident c’est la figure de l’ours brun qui a d’abord été omniprésente dans les contes, légendes, blasons et arts. La figure de l’ours polaire a elle, en premier, fait l’objet de représentations de la part des populations vivant à leur contact. C’est seulement suite à l’exploration de ces territoires que les Occidentaux se sont emparés de ce sujet.
Les peuples inuits préhistoriques, comme les Okviks ou les Ipiutaks, ont été les premiers à représenter des ours polaires. Ces sculptures étaient généralement faites à partir d’ivoire de morse. Elles étaient peu volumineuses et facilement transportables. La finesse de ces réalisations impressionne encore aujourd’hui le spectateur.
Les premières gravures occidentales d’ours polaires font suite à la découverte de cette nouvelle espèce, nommée ursus maritimus. Sur ces gravures les ours sont dépeints scientifiquement avec de nombreux détails. Ces représentations laissent transparaitre une volonté d’exactitude et un souhait de documentation. Il s’agissait dès lors de faire connaître un animal alors inconnu en diffusant son image.
Par la suite les gravures ont été plus nombreuses. L’ours polaire était alors perçu comme la bête sauvage par excellence et était représenté sous des traits hostiles et féroces. L’ours brun étant déjà connu comme un animal dangereux, l’exotisme de l’ours polaire a renforcé le sentiment de méfiance à son égard.
Les inuits sont des peuples autochtones d’Amérique du Nord et des régions arctiques. Historiquement ces peuples côtoient donc les animaux polaires. Ces derniers ont toujours été au centre de leurs arts. Durant le XXe siècle, l’art inuit a connu un rebond particulier lui donnant une visibilité intéressante. Les sujets représentés sont principalement des animaux, voir des animaux mythologiques. Les oiseaux sont très présents, les ours polaires également. Ces derniers sont représentés à travers plusieurs mediums, de la gravure à la sculpture. C’est à cette époque que se développe la populaire figure de l’ours dansant. Il s’agit de représenter, par la sculpture principalement, des ours entrain de danser. L’ours polaire devient alors une figure humanisée, le caractère sauvage de l’animal est gommé.
Au XXe siècle, les sculpteurs se sont emparés de la figure de l’ours polaire. C’est François POMPON qui a ouvert cette voie avec son célèbre Ours blanc en 1922. Dans cette sculpture, Pompon opte pour l’économie de détails, des courbes et une surface lisse reflétant la lumière. Cela a pour conséquence de rendre compte de la lourdeur de l’animal tout en allégeant sa démarche. Ce dernier semble alors déambuler avec une facilité déconcertante. Cette représentation de l’animal fait fi de sa sauvagerie. Ses lignes épurées et harmonieuses le sortent du temps et en font un animal à part.
Dans sa lignée, d’autre sculpteurs tel Alexandre Zankoff, ont représenté les animaux polaires en gommant leurs aspects sauvages.
Le regard artistique posé sur les ours polaires a donc profondément changé au cours du XXe. L’aspect sauvage de ces animaux a eu tendance à disparaître au profit d’une représentation plus bienveillante. Ce nouveau regard posé par les artistes peut être illustré par le travail de Kyriakos KAZIRAS. Ce dernier évoque l’ours polaire dans des compositions teintées de blanc. Les ours sont saisis en gros plan, dans des instants de vie. De ce travail se dégage une douceur réconfortante.
L’émergence des problématiques environnementales a profondément impacté le regard posé par les artistes sur les animaux polaires. Ils ne sont plus seulement vus comme des espèces inconnues, exotiques, sauvages mais comme des espèces menacées à protéger. Le travail des photographes est alors apparu comme essentiel. En effet, ces derniers bénéficient d’un medium privilégié pouvant rendre compte de la beauté de ces animaux tout en témoignant de leur grande fragilité.
Le travail de Paul NICKLEN est représentatif de cet équilibre. Il saisit dans ses photographies, à travers son regard de biologiste, les ours polaires dans leur milieu naturel. Ils sont alors capturés en mouvement, dans des postures majestueuses. Le travail apporté à la lumière sublime ces photographies, pouvant déconcerter le spectateur. Néanmoins, en les photographiant sur un glacier fondant, dans un paysage dénué de neige ou en photographiant un regard, Paul NICKLEN émeut le spectateur. Il nous invite à ne pas seulement voir ces animaux comme des bêtes magnifiques mais comme des espèces menacées. Il souligne alors la tension naissante entre leur puissance et les menaces du réchauffement climatique.
Les photographies de Stéphane AISENBERG s’inscrivent également dans cette tendance, en confrontant l’aspect sauvage et la fragilité de ces animaux. Dans ses photographies, toujours très orchestrées, il met en scène des animaux polaires à la façon d’un portraitiste. Il instaure alors un rapport presque intime entre le spectateur et l’animal. Dans un face à face, dont il ne peut pas s’extirper, le spectateur se voit confronté aux bêtes. Il doit alors questionner son altérité. Cela permet au photographe d’amener le spectateur à se sensibiliser aux questions écologiques.
Les photographies de Kyriakos KAZIRAS relatent quant à elles une forme d’humanité des animaux polaires. Elles montrent des animaux capturés dans des instants de vie avec des comportements pouvant rappeler ceux humains. Le spectateur voit ainsi un ours polaire lever la patte comme si il le saluait, ou encore des ours semblant échanger des signes d’affection. L’humanité qui se dégage de ces clichés peut le toucher, l’attendrir, et l’émouvoir. Il est alors amené à poser un autre regard sur ces espèces et se retrouve concerné par leur préservation.