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Voyage en Terre Sainte à travers les Photochromes de 1880 à 1895

À la fin du XIXe siècle l’Orientalisme est en vogue, certains photographes s’en font une spécialité et rapportent des images en couleurs grâce à la technique du photochrome.

Le Photochrome, a été inventé dans les années 1880 par Hans-Jakob SCHMID (1865-1924), lithographe de la maison d’édition suisse Orell Füssil & Cie. La technique était obtenue à partir d’un négatif noir et blanc reposant sur le procédé de la lithographie en couleurs. Grâce au Photochrome, il était désormais possible de mettre de nombreuses couleurs dans la photographie. Pourtant, nous ne parvenions pas encore au travail automatique. Chaque image devait être retouchée manuellement en fonction de la couleur. Le choix de couleur exigeait donc l’interprétation d’un exécutant, par exemple, pour avoir les couches lumineuses, les contrastes plus détaillés etc. Les photochromes ne semblaient donc pas tout à fait naturels. Au début du XXe siècle, ils ont été rapidement mis en vente dans les sites touristiques, notamment au Moyen-Orient.

La Palestine venant de s’ouvrir aux Occidentaux, était en son plein essor au milieu du XIXe siècle en tant que creuset de la civilisation et, pour les Occidentaux, paradis retrouvé. Les photographies sur la Palestine ont donc provoqué une sensibilité nouvelle et frappante par rapport aux gravures ou tableaux réalisés qui l’avaient suscitée auparavant.

Naissance du Photochrome

Après l’invention de la photographie en 1826, l’envie d’avoir la photographie en couleurs était une obsession. Néanmoins, on devait attendre plus de temps pour avoir les pellicules couleurs. Dans les années 1880, malgré les progrès considérables qui sont accomplis, les photographies restaient encore monochromes. De multiples essais ont été menés, de nombreuses expériences ont été faites. Certains ont colorié les épreuves (colorisation photographique) [1], d’autres ont inventé la trichromie en mélangeant les trois couleurs primitives, bleu, jaune et rouge etc. [2]

Colorisation photographique depuis la photographie de Félix BONFILS, Circa 1870, ⓒWeltmuseum Wien

Dans les années 1880, une invention révolutionnaire dans le monde de la photographie s’est faite : le Photochrome. Celui-ci a été conçu par Hans-Jakob SCHMID (1856-1924), lithographe de la maison d’édition suisse Orell Füssli & Cie qui a été fondée au XVIe siècle. C’est Orell Füssli & Cie qui en a déposé le brevet d’invention le 4 janvier 1888 en Europe et aux États-Unis, et l’a commercialisé via sa nouvelle filiale Photochrom Zurich - devenue Photoglob Zurich en 1895. En effet, cette technique a été déjà expérimentée à Vienne dans les années 1860. Ainsi qu’en France, Léon VIDAL (1833-1906), érudit et inventeur dans l’ingénierie photographique, a proposé un procédé très similaire en 1870. Cependant, Orell Füssli & Cie était le premier à réellement exploiter et commercialiser le Photochrome dès 1889.

Procédé du Photochrome

Le texte du brevet du Photochrome explique comme ci-après, « De reporter directement, au moyen d’un négatif unique, les originaux de tout genre sur des pierres lithographiques rendues sensibles à la lumière ; et de fixer et développer ces images sur la pierre en vue de l’impression de l’original. » Le Photochrome est donc un procédé d’impression lithographique en couleurs à base de photographie monochrome.

Pour sa réalisation, plusieurs pierres lithographiques devaient être réalisées, une pour chaque couleur, le nombre pouvant varier selon le rendu final souhaité. Ces pierres étaient enduites d’un bitume de Judée qui, une fois exposé à la lumière du soleil au travers d’un négatif, durcit et rend les zones insolées insolubles. Les pierres étaient ensuite développées dans de l’essence de térébenthine, puis rincées à l’eau afin de retirer les parties non insolées, demeurées solubles. Elles étaient enfin gravées à l’aide d’acide. Les encres préparées par l’imprimeur étaient finalement appliquées sur chacune des pierres, afin de réaliser le transfert sur un papier lisse de haute qualité. Par travaux de retouche et de masquage, on pouvait aussi à volonté ajouter ou supprimer toutes sortes de détails.

En plus, la particularité du Photochrome résidait dans ses énormes possibilités chromatiques. Nous pouvions utiliser jusqu’à 14 pierres pour avoir des nuances. Grâce à ce caractère, le Photochrome laissait une part importante à la créativité d’un chromiste, exécutant réel du procédé. Il constituait une savante composition entre réalité et interprétation. Il avait toute liberté de s’approprier le cliché, de lui donner, selon son humeur ou le nombre de passages sur les pierres lithographiques, des couleurs douces, délavées presque aquarellées, ou bien plus franches, plus vive etc. En visant à atteindre la subtile alchimie qui ravirait l’œil, les photochromes donnaient aux gens de l’époque le plaisir de contempler les paysages faisant confondre entre réalité et peinture.

Les photochromes étaient exclusivement réalisés et produits par les entreprises, Photochrom Zurich et Detroit Publishing Company. Elles achetaient des négatifs à des photographes de l’époque comme Félix BONFILS (1831-1885) [3], Francis FRITH (1822-1898) [4], William-Henry JACKSON (1843-1942) [5], Jean-Pascal SÉBAH (1872-1947) et Polycarpe JOAILLIER (1848-1904) [6], Félix-Jacques MOULIN (1802-1879) [7] etc. La plupart d’entre eux ont provoqué une sensation nouvelle de leurs contemporains par le biais de leurs photographies sur le Moyen-Orient.

Cheik Bédouin de Palmyre
Félix Bonfils (1831-1885) ,vers 1880, papier albuminé d’après négatif sur verre au collodion. 27,5 x 21,5 cm, ⓒBnF.
Cheik Bédouin de Palmyre
Entre 1890 et 1900, Detroit Publishing Co., sous l’autorisation du Photoglob Zürich, depuis la photographie faite par Félix Bonfils

Vie du Photochrome

Belle époque du Photochrome

Le Photochrome était très populaire autour des années 1890. Alors que la photographie en vraie couleurs ait été déjà développée pour la première fois, elle était encore peu pratiquée sur le plan commercial. Le procédé a remporté une médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris en 1889. Ainsi qu’il a été exporté aux États-Unis via la Detroit Publishing Company en 1897. Celle-ci produisait jusqu’à sept millions de tirages photochromiques au cours de certaines années et proposait dix à trente mille vues différentes. Au début du XXe siècle, les photochromes se vendaient énormément dans les sites touristiques, notamment au Moyen-Orient qui fascinait les Européens. Les thématiques abordées, le plus souvent, étaient de grands monuments, des paysages, des événements notables et la vie quotidienne exotiques.

Photochromes sur la Palestine

Au XIXe siècle, avec l’ouverture de l’Empire Ottoman, la Palestine, conjuguée à l’invention de la photographie, suscitait un enthousiasme considérable des Européens. Car, pour eux, la Palestine était considérée comme un paradis retrouvé. La reconnaissance du pays a déjà commencé à partir de la campagne d’Égypte de Bonaparte (1798-1801). Les scientifiques accompagnés s’y sont plongés pour compléter la 1ère cartographie de la province. D’ailleurs, les récits sur ce territoire ont été établis notamment par François-René de Châteaubriand (1768-1848). Bon nombre de touristes européens et les photographes «  voyageurs » affluaient tout naturellement en Palestine. Ceux-ci, au premier rang, étaient d’abord mandatés par des institutions ou des organisations scientifiques. Leur objectif ne reposait pas sur la restitution du réel tel que le pays se présentait mais sur l’établissement des images très présentes dans l’imaginaire des Occidentaux sur la Palestine. Ils accomplissaient leur travail avec autant de passions afin de témoigner d’une réalité palestinienne risquée de disparaître devant une massive influence de l’Occident malgré les conditions pénibles et dangereuses en Palestine.

Les photographes arméniens réalisaient des prises de vue sur tous les paysages du Moyen-Orient, de Constantinople au Caire. Ils transmettaient une chronique de la société orientale du XIXe siècle à travers leurs clichés. Au départ, cette pratique s’est généralisée au sein des monastères, par exemple, les moines Garabédian et Krikorian au monastère Saint-James de Jérusalem, les Guiragossian ou Sarafian de Beyrouth et Halladjian d’Haïffa. Les plus célèbres photographes arméniens au XIXe siècle étaient les trois frères Abdullah, Hovsep (1830-1908), Viçen (1820-1902) et Kevork (1839-1918). Ils ont géré un studio, racheté à un chimiste allemand en 1858, sous le nom d’« Abdullah Frères ».

D’autres studios de photographie existaient à Jérusalem dans le quartier arménien. Un des plus importants est le studio Elia Photo Service (Famille Kahvedjian) qui existe depuis 1924. Le studio gère les photos prises par Elia Kahvedjian (1910-1999) mais aussi celles d’autres photographes célèbres. Certaines photographies datent de 1860. Toutes les photographies du studio servent de témoignage historique sur Jérusalem et ses alentours.

En Europe, l’admiration vers l’Orient était entretenue et amplifiée par ces milliers de photographies venues de Palestine qui se vendaient à l’unité ou en album, mais se diffusaient aussi dans des revues comme l’Illustration (1843-1944) ou Le Tour du monde (1860-1914). Plus le standard de qualité était élevé de la part d’une nouvelle clientèle de touristes, plus on avait forte envie d’avoir les photographies en couleurs. Dans des années 1880, le Photochrome est enfin né pour satisfaire ces demandes.

Jérusalem, façade du Saint-Sépulcre

Jérusalem, façade du Saint-Sépulcre

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Ramleh, Tour des Quarante Martyrs

Ramleh, Tour des Quarante Martyrs

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Jérusalem, Porte de Jaffa

Jérusalem, Porte de Jaffa

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1890
Porteur d’eau de Jérusalem

Porteur d’eau de Jérusalem

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Jérusalem, le reservoir d’Ézéchias

Jérusalem, le reservoir d’Ézéchias

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Jérusalem, mosquée d’Omar

Jérusalem, mosquée d’Omar

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1890
Jérusalem, mur des Lamentations

Jérusalem, mur des Lamentations

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Types juifs de Jérusalem

Types juifs de Jérusalem

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1880
Jérusalem, vue Générale du mont des Oliviers

Jérusalem, vue Générale du mont des Oliviers

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Khan el-Amar, sur la route de Jéricho

Khan el-Amar, sur la route de Jéricho

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1880
Halte de chameliers dans le désert

Halte de chameliers dans le désert

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1885
Mar-Saba, le couvent

Mar-Saba, le couvent

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1890
Sur le bord septentrional de la mer Morte

Sur le bord septentrional de la mer Morte

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Le Jourdain, près du gué : passage des juifs

Le Jourdain, près du gué : passage des juifs

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Tente de bédouins nomades et ses habitants sur le Jourdain

Tente de bédouins nomades et ses habitants sur le Jourdain

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Le mont Thabor, vue de l’ouest

Le mont Thabor, vue de l’ouest

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Nazareth, vue Générale prise de l’est

Nazareth, vue Générale prise de l’est

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Tibériade, barque de pêche sur le lac de Génésareth

Tibériade, barque de pêche sur le lac de Génésareth

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895
Bergers bédouins syriens

Bergers bédouins syriens

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1880
Haifa, vue générale

Haifa, vue générale

P.Z. (Photochrome Zurich) - Circa 1895

Déclin du Photochrome

La belle époque du Photochrome déclinait peu à peu dans les années 1910. Il a définitivement disparu à l’arrivée des premières pellicules couleurs en 1935. Aujourd’hui, les photochromes sont présents dans de nombreuses collections, telles qu’au sein de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris et de la Bibliothèque Forney à Paris, du Musée Suisse de l’Appareil Photographique à Vevey, du Whitney Museum, de la Bibliothèque du Congrès à Washington ou encore du Musée de la Reine Sofía, en Espagne.